Zimbabwe : de la loi à l’action, une architecture de financement pour la résilience des femmes
Le rapport d’analyse de genre sur la gestion des risques de catastrophes (GRC) au Zimbabwe met en lumière un contraste saisissant : alors que la Constitution du pays garantit l’égalité des genres, la législation et le financement de la GRC restent largement << aveugles au genre ». Dans une économie où 70% de la population dépend de l’agriculture, les chocs climatiques récurrents aggravent la pauvreté et les inégalités. Face à ce défi, et s’appuyant sur les recommandations du rapport ainsi que sur les dynamiques locales, cet article propose une architecture de financement intégrée pour transformer l’intention politique en investissement stratégique, en faisant de la résilience des femmes le moteur du développement national.
Le diagnostic : un cadre légal à rénover, un financement à construire
L’analyse économique révèle une double fracture. Au niveau macroéconomique, le financement de la GRC est précaire. Le rapport indique qu’il n’existe pas de budget dédié à la gestion des catastrophes, les fonds étant tirés d’une ligne budgétaire pour imprévus, notoirement insuffisante. La loi principale, la Loi sur la Protection Civile (1989), ne contient aucune disposition spécifique sur le genre. Cependant, une fenêtre d’opportunité majeure est ouverte avec le projet de loi sur la GRC (EPDM bill) en cours de rédaction, qui vise à créer une architecture légale pour le financement des risques.
Au niveau microéconomique, les femmes, bien que piliers de l’agriculture de subsistance, sont particulièrement vulnérables. Les communautés patriarcales limitent leur pouvoir de décision sur les ressources. Néanmoins, le rapport identifie des forces locales considérables, notamment le rôle des clubs d’épargne dirigés par des femmes qui servent de relais pour l’information et la résilience, ainsi que des projets de partenaires au développement (Plan International, WFP, etc.) qui ciblent avec succès les femmes via des programmes d’argent contre travail et des jardins nutritionnels.
La solution : une architecture de financement à trois niveaux
La stratégie pour le Zimbabwe doit capitaliser sur la réforme législative en cours et structurer les initiatives de terrain existantes.
À l’échelle macroéconomique : ancrer la budgétisation sensible au genre (BSG) dans la loi
L’objectif est de rendre le financement du genre non plus optionnel, mais obligatoire.
Action : Intégrer la Budgétisation Sensible au Genre (BSG) comme un principe contraignant dans le nouveau projet de loi sur la GRC.
Principe économique : En inscrivant la BSG dans la loi-cadre du financement des risques, on s’assure que chaque dollar alloué à la GRC est analysé et dépensé de manière à réduire les inégalités de genre, maximisant ainsi son efficacité sociale et économique.
Mise en œuvre :
- Faire du plaidoyer pour que le nouveau projet de loi sur la GRC inclue un article mandatant que le futur budget national de la GRC soit élaboré selon les principes de la BSG. Le rapport insiste sur le besoin d’"analyses et de suivi des allocations et des dépenses" pour le genre.
- Prévoir légalement qu’un pourcentage du budget national de la GRC soit fléché vers des actions qui répondent aux recommandations du rapport.
Justification économique : Cela transforme le financement du genre d’une dépense sociale en un critère de performance pour l’ensemble des investissements publics dans la résilience. Un financement plus équitable est un financement plus efficace.
À l’échelle mésoéconomique : créer un fonds transformatif pour les femmes
Le rapport recommande explicitement la création d’un fonds dédié.
Action : Établir le "Fonds Transformatif pour les femmes face aux catastrophes"
Principe économique : Ce fonds agirait comme un véhicule financier spécialisé pour catalyser et canaliser les investissements vers les initiatives les plus efficaces en matière de genre et de résilience, répondant à l’appel du rapport pour un "mécanisme de financement transformateur de genre au niveau communautaire".
Mise en œuvre :
Ce fonds serait une composante de la nouvelle architecture nationale de financement des risques, co-géré par le Ministère des Finances, l’agence de GRC et le Ministère des Affaires Féminines (MWCSMED).
Il serait abondé par une partie du budget national de la GRC (via la BSG), des contributions de partenaires au développement, et des fonds de l’assurance souveraine (comme celle de l’ARC).
Sa mission serait de financer exclusivement des projets portés par des ONG et des organisations communautaires qui démontrent un impact mesurable sur la résilience économique des femmes.
À l’échelle microéconomique : mettre à l’échelle les modèles communautaires
L’investissement doit s’appuyer sur les structures et les pratiques qui ont déjà fait leurs preuves.
Action : Utiliser le Fonds Transformatif pour financer et renforcer les clubs d’épargne féminins et les projets de résilience locaux.
Principe économique : Plutôt que de créer de nouvelles structures, il est plus rentable de renforcer le capital social et financier existant. Les clubs d’épargne sont des plateformes de confiance et de solidarité déjà opérationnelles.
Mise en œuvre :
- Allouer des subventions du Fonds Transformatif aux clubs d’épargne pour qu’ils puissent offrir des crédits de relance à leurs membres après une catastrophe.
- Financer des programmes qui connectent ces clubs à des produits de micro-assurance climatique, renforçant ainsi leur capacité à gérer les risques.
- Soutenir, via ces clubs, les initiatives locales à succès comme les jardins nutritionnels et les projets d’argent contre travail, en les transformant d’initiatives de projet en une stratégie nationale pérenne.
Conclusion : une fenêtre d’opportunité pour un financement inclusif
Le Zimbabwe est à un moment charnière. Le nouveau projet de loi sur la GRC offre une occasion unique de corriger les omissions du passé et de construire une architecture de financement de la résilience véritablement inclusive. En inscrivant la budgétisation sensible au genre dans la loi, en créant un fonds dédié à l’autonomisation des femmes et en investissant dans les dynamiques communautaires existantes, le pays peut s’assurer que chaque dollar dépensé pour la gestion des catastrophes contribue également à bâtir une société plus juste et une économie plus forte.